samedi 20 avril 2024

La distribution des prix aux Ursulines

 

La distribution des prix avait lieu le 14 Juillet ; c'était un événement auquel on se préparait de longue date. 

La cérémonie se passait à Sainte-Anne dans une très vaste salle située au premier étage et qui se terminait par un petit théâtre.

 Les élèves étaient installées sur des gradins à droite ; les familles se pressaient dans la salle où l'on avait rassemblé les chaises et les bancs de tout Sainte-Anne. Au premier rang, il y avait les autorités, parfois Mère Provinciale, Mère Prieure, Monsieur le curé Treussier, Monsieur l'aumônier Goulven, le supérieur du collège du Kreisker... derrière eux, les familles les plus importantes de Saint-Pol.

 Le palmarès était lu par Monsieur l'abbé Galès dont la haute taille et la voix de stentor faisaient merveille. A l'appel de son nom, l'élève montait quelques marches, à droite du théâtre, recevait son livre et traversait l'avant-scène, pour redescendre par la gauche... avant de regagner sa place, il lui fallait passer devant les autorités en les saluant respectueusement. On applaudissait les prix d'excellence !

 Nous les petits avions des prix tout à fait charmants : prix de belle humeur, prix de bon sommeil, prix d'amabilité...

 Et il y avait du théâtre ! Les grandes s'essayaient à "Athalie" ou "Esther", les moyennes affrontaient "Le Cid", il y avait des chants, des chœurs à quatre et cinq voix, du piano, du violon... Les petits, habillés en Bretons et Bretonnes, dansaient la gavotte. La plus jolie était Yvonne Séité, habillée d'un très beau costume de Pont-Aven, tout brodé et galonné d'or ; ses beaux yeux noirs brillaient sous sa coiffe de dentelle. Elle eut grand succès et parut plaire à toute l'assemblée.

Chaque couple s'avançait à son tour sur le devant de la scène, saluait, faisait quelques pas de gavotte et s'en retournait au fond du théâtre pour attendre la ronde finale. 

J'avais pour cavalier Pierre Simon. Au moment de faire trois pas en avant, effrayé par cette salle comble, bavardant et riant, peut-être aussi par la vue de ses parents au tout premier rang, Pierre refusa d'avancer, je le tirais par la main, Mère Agnès l'encourageait des coulisses, le suivant le poussait : rien à faire, Pierre ne bougeait pas. La salle commençait à s'amuser.... Alors, pensant que la manière forte réussirait, là où la douleur échouait, je lui envoyai un bon coup de pied dans les tibias (j'avais des souliers neufs, les souliers qu'ont toutes les petites filles de France, de vernis noirs à bout rond avec une bride). La salle éclata de rire... Fureur ou douleur, Pierre fit les trois pas nécessaires, mais resta planté comme un piquet, refusant salut, révérence et pas de gavotte. Je fis le tout toute seule et nous regagnâmes le fond du théâtre sous les rires et les bravos.

Adulte, Pierre me disait : "Quand je pense que le seul coup de pied que j'ai reçu, c'est une femme qui me l'a donné !"

Une femme, c'est beaucoup dire, une gamine de cinq ans ; heureux temps, hélas ! passés et même trépassés..."

Marie Louise ALBERTINI-LESBROS.