Par Laurent Quevilly.
1804 : les agents recenseurs s'appliquent à nous faire tourner en bourrique. Voilà qu'il n'y a plus de N°1, rue de la Vigilance. Non, le recensement débute directement au N°2 qui appartient non plus à Smith mais à Maugé (1F37/P.390). Notre bon docteur aura donc racheté l'intégralité de l'ancien siège de la seigneurie du Chastel afin d'en tirer d'importants revenus locatifs. Exit en tout cas nos marchandes de poteries et autre débitante. Quant au chirurgien-major Jean-Marie Rochemont, si l'on se fie à la numérotation observée d'un recensement à l'autre, il déménage en 1804 pour passer de l'ancienne maison du tribunal à l'hôtel Lauzun en compagnie de Joseph Lecour et sa suite. Oui, les agents recenseurs vont avoir raison de nous. Mais promis : quand nos rues retrouveront leur nom d'origine, nous y verrons plus clair.
En attendant, au moins une explication dans tout ce pataquès : la veuve Bignon est décédée. C'est alors que Maugé s'est porté acquéreur de ses biens. Le fils Bignon sera engagé volontaire en 1812, fourrier, cassé de son grade, fusilier dans la 1ère compagnie du 6e bataillon du 70e régiment de ligne, il mourra le 2 décembre 1813 dans un hôpital militaire en Allemagne.
L'annexe du presbytère !
Au N° 3, en 1804, Joseph Smith est sous bonne garde. En plus des employés de Marine qui alimentent les revenus de Maugé, l'ancienne maison de Justice accueille maintenant deux prêtres, les abbés Jestin et Combrun. Ce sont deux des ecclésiastiques de la paroisse de Saint-Sauveur, administrée par Jacques-Louis Guino, ancien recteur d'Elliant et adepte des idées nouvelles. Ce qui lui a valu un mandat de député et le luxe de se faire tirer les deux portraits ci-joints.
L'abbé Guino (Archives de l'Assemblée nationale)
Le presbytère de Recouvrance a été vendu par l'Etat à la Révolution. Depuis, des particuliers charitables le louent au curé. Nos deux prêtres ont quant à eux trouvé refuge chez Maugé.
Sur les 15.000
âmes qui peuplent Recouvrance, on compte 12.000 communiants. « Sans
y comprendre les militaires et les marins, précise l'abbé
Guino. J'ai environ 700 enfants Français et Bretons inscrits pour
la première, la seconde et la troisième communion. » On
appréciera le distinguo entre Français et Bretons dans le haut-lieu
de la Marine nationale. Mais l'abbé veut parler des langues en usage chez ses ouailles.
Un vicaire à l'index
Natif de Coutances, l'abbé Jean-Louis Combrun partage son logis avec une parente, Isabelle Legaud. Un temps aumônier de Marine puis prêtre à Saint-Louis, c'est le premier vicaire de Saint-Sauveur. Ce Normand n'entend pas le breton, or un tiers des paroissiens ne parle que cette langue.
Une lettre
anonyme a été adressée à l'abbé Guino mais aussi à l'évêque
pour dénoncer ses mœurs. On le dépeint comme ivrogne et libertin.
Le curé brûla aussitôt cette lettre sans s'en confier à
l'intéressé. Mais dès lors, il entreprit une surveillance étroite,
rendant fréquemment visite à Combrun, le convoquant au presbytère
deux fois par jour, s'informant sur les maisons qu'il fréquente.
Conclusion : Combrun ne côtoie que des gens honorables. Alors,
convaincu d'une calomnie, son curé adresse un rapport à l'évêque :
« M . Combrun a le désagrément de présenter un
visage enflammé qui, au premier abord, peut paraître une habitude à
se livrer à la boisson mais à cet égard j'ai consulté en plaisant
un habile médecin qui le connaît depuis dix ans et qui m'a assuré
que cette rougeur provenait d'un sang aéré qui est continuellement
enflammé. » On le voit, Combrun a trouvé un ardent défenseur. Mais après la mort de Guino, le rougeaud francophone sera interdit et chassé de Recouvrance en
juillet 1808.
Un curé bretonnant
Mais pour l'heure, nous sommes encore en 1804 et le second prêtre présent rue de la Pointe est Messire Guillaume-Jean Jestin. Lui, il est né à Locmaria-Plouzané en 1750 et est dans sa location assisté de Marie-Charlotte Jestin. « Il fait le breton », se réjouit son curé. Mais ses supérieurs l'ont blâmé et laissé sans pouvoir pour avoir quitté contre avis Landevennec, préférant la ville à la campagne. Alors, à Recouvrance, il ne vit que de ses messes et de l'école qu'il fait aux enfants. Son curé y a ajouté quelques prestations.
Rochemont est en mer
En 1805, Rochemont est alors chirurgien-major à bord du Jean-Jacques. A Cadix, il décèle notamment une attaque de goutte chez Bigot, le pacha de l'Argonaute. Il recommanda une cure thermale à Luchon.
Numérotation inchangée en 1806 (1F39/171) et 1807 où l'on note que trois chambres et deux cuisines sont inoccupées dans notre ancienne maison de Justice (1F41/30). Smith cohabite avec le ménage de sa sœur Amélie.
Chez Rochemont, au N°2, on compte 12 portes et fenêtres. Du premier lit de sa femme, François Monot a déjà 16 ans. Trois autres enfants en bas-âge sont à la garde d'une fille de confiance, Marie Jeanne Toryel. Il y a aussi dans l'immeuble Philippe Destec, garde-magasin des vivres et Michel, un garçon de confiance.
Naissance d'un grand peintre
L'enfant qui vient de naître va grandir 16, rue de l'Eglise et devenir un peintre réputé. Les Beaux-Arts à Paris, il exposa au Salon, il a enseigné à Brest mais aussi 20 ans à Quimper, de 1846 à 1866, notamment en compagnie d'Auguste Goy. Le musée de Brest conserve de lui le pardon de Kerinou. Il a reproduit une toile de Valentin conservée aujourd'hui à Kergoat, en Quéménéven. On lui doit aussi les illustrations du voyage en Finistère d'Emile Souvestre. Deux fois marié, il eut un fils prêtre mort à la fleur de l'âge, un autre employé au commissariat de Brest. Barret décédera rue de la Mairie à 81 ans.
Et Smith déménage
En 1808, la famille Smith a quitté l'ancien tribunal pour s'établir dans la maison de la Fontaine appartenant à l'hospice. Montant en grade, Smith sera conseiller municipal jusqu'à sa mort prématurée.
Après le départ de Smith, une chambre se retrouve vacante chez Maugé. Parmi les nouveaux locataires, une institutrice, Yvonne Gludic. On la retrouvera là au cours des années qui suivent. (1F44/61 - 1F47/63 – 1F48/46 – 1F52-189).
En 1809, au 16, rue de l'Eglise, le Dr Rochemont a fait de son fils adoptif, François Maximilien Monot, un apprenti chirurgien. Qui n'aura guère de chance...
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