mardi 10 octobre 2023

MA VIE DE CHATEAU A BREST (5)

 Le 11 avril 1835, veuf, Delalun rembarque en rade à bord de la frégate Terpsichore. Puis c'est l'Espagne, le Sénégal sur l'Endymion. Bref, il déroule une carrière bien remplie qui le mène en 1840 en Italie puis à Lisbonne à bord de l'Iguala.

L'agent recenseur retenu pour 1841 est un artiste. Il ne prend pas la peine de noter le numéro des maisons qu'il visite et vous fait d'Yves Collet... une Collette ! Une mendiante vit près de l'hôtel Lauzun, c'est la veuve Gourdonen, prénommée Louise. Au rez-de-chaussée est à nouveau installée une marchande de poteries, la veuve Masson, née Hervé. Au 1er, Delalun est encore en mer l'agent n'y trouve que la domestique, Caroline Goulhen. Au Second, Barret n'a pas bougé ainsi que sa femme et leur fille Louise. La domestique a pour nom Jeanine Cariou, veuve Thomas. (Arch dep. 16 M 131-132 - P156. ).

Dans l'ancienne maison de Justice, c'est toujours la tour de Babel. Le Dr Le Guen et la veuve Hardy sont entourés de divers corps de métiers. Les Le Guen ont à leur service Françoise Pellan. Criez dans l'escalier, et vous aurez Mme Duchon, femme d'un enseigne de vaisseau parti en mer, celle d'un second-maître de manœuvre, un contre-maître charpentier, des gens sans état ou pensionnés.(Arch dep. 16 M 131-132 - P.238).

 Peint par Sévellec, le mur des vivres qui monte de la porte Jean-Bart jusqu'à la rue de la Pointe

Je ne sais quand dater cette tradition. Mais le long du mur qui borde la rue de l'Eglise et bifurque rue de la pointe se déroulait la distribution de copeaux de bois. Dans La Dépêche, Toscer en parle ainsi : « Une cause d'animation, à certains jours de la semaine, était l'accostage du chaland chargé des copeaux et des résidus de bois, distribués gratuitement par la Marine à des veuves de marins et d'ouvriers de l'arsenal. Munies de lourds paniers ou de filets en grossiers cordages, les femmes transportent ces déchets de bois que, sous la direction d'un contremaître et des surveillants, on répartit en lots à peu près égaux, le long du mur des Vivres, dans la rue de l'Eglise et la rue de la Pointe. Malgré les mesures d'ordre, le partage ne va pas toujours sans dispute, et les surveillants sont souvent obligés d'intervenir pour rétablir la concorde parmi leurs subordonnées. »


L'ascension politique de Delalun


24 octobre 1848 : le capitaine de vaisseau Delalun prend enfin sa retraite après 44 ans de service dont 25 ans à la mer et 12 en guerre. Depuis le mois de juillet, il est alors conseiller municipal. Le 13 décembre 1849, on le nomme adjoint spécial de Recouvrance. 27 janvier 1850 : le voilà conseiller d'arrondissement. On retrouve notre ancien officier de Marine en août lors de la remise des prix de la communale de Recouvrance.

Entre temps, le Dr Le Guen, son beau-frère, est décédé au 1 de la rue de la Pointe le 26 mai 1851. Il avait 56 ans. Delalun est recensé seul dans l'immeuble du 16, entouré d'Annette Lann, enfant de Daoulas, 12 ans, et d'une femme Cadiou, née Goulchen, âgée de 37 ans. (ADF Rue de la Pointe : p221)

Le 1er août 1852, Delalun abandonne son mandat de conseiller d'arrondissement, étant élu conseiller général.

21 décembre 1854 : le capitaine Delalun est élevé au grade d'officier de la Légion d'Honneur.


Le pont de Recouvrance !


1860 marque un tournant radical dans la vie du quartier. C'est la construction du Pont national qui va relier les deux rives. Recouvrance se retrouve désenclavé et va perdre une grande partie de son identité propre. De ses hantises aussi. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, les Recouvrancais croyaient encore au bugel-noz, aux viltansous, aux loups-garous...

Malgré une santé déclinante, Delalun continuait de siéger au conseil général. Il en était le doyen. A ce titre, il aurait dû présider la séance du 25 août 1863. Ce fut au-dessus de ses forces. Le 28 décembre 1866, le capitaine de Delalun mourut au 16 de la rue de l'Eglise. Les deux témoins du décès furent Jean-Marie Barret, commissaire adjoint de la Marine en retraite, fils du Barret aperçu 16, rue de l'Eglise. Barret à la Légion d'Honneur depuis quatre ans. Il est accompagné de Camille Marie Hardy, notaire à Lesneven. Ce dernier fut maire de sa ville. Il sera aussi juge de Paix du canton du Huelgoat.

Au conseil général, le 1er janvier suivant, le président Conseil rend brièvement hommage à son caractère loyal, ses qualités d'homme de bien. Delalun laissait pour héritier un neveu homonyme et officier de Marine. C'est l'un des personnages de Cœurs de marins, du baron Deslandes, paru en 1894.

Avec la mort de notre vieux loup de mer goudronné prend fin l'ère des figures en vue de Brest au 16 rue de l'Eglise. On donne un journalier du nom d'Hervé Le Lann comme occupant l'immeuble en 1866 avec toute sa famille issue de Claudine Kermarrec. Or, Delalun est mort fin décembre. (ADF 1866 P70).


L'avènement des Le Guen


Sonna l'heure d'Edouard-Marie Le Guen. Né à Brest le 31 août 1826, il étudia le droit, se fit recevoir avocat, et s'inscrivit au barreau de sa ville natale.

Le 9 avril 1866, il épouse à Lorient Adeline Joséphine Marie Philippe de Kerarmel.

En 1868, il est adjoint spécial de la ville de Brest et enregistre notamment la naissance de Louise Mainberte, née d'un de mes cousins maternels, musicien dans la Musique des équipages de la Flotte. Le Guen se présente comme candidat monarchiste à l'Assemblée nationale, lors de l'élection complémentaire du 2 juillet 1871. Il s'incline devant le dernier élu républicain.

La veuve Lefèvre dont un fils est armurier, le cordonnier Voissel ou encore le maître de manœuvre Thomas, entourés de leur famille, confirment la destination du 16 en 1872 (ADF p.70) : il est voué à la location et non plus au logement de famille. On compte aussi dans l'immeuble une femme seule : Françoise Lannusel. 13 locataires sont recensés.

La veuve du Dr Le Guen et ses héritiers sont attestés en 1873 comme propriétaires du 16, rue de l'Eglise. Mais Mme Le Guen mourut le 27 juillet de cette année-là dans l'ancien tribunal. Notaire à Lesneven après avoir vécu lui aussi rue de la Pointe, son neveu, maître Hardy, en fit la déclaration en compagnie du cousin de la défunte, Félix Barret, « artiste peintre demeurant à Brest ».

Le 14 décembre 1873, Le Guen échoua encore, à une élection partielle, motivée par le décès de M. de Tréveneuc et fut battu par, M. Swiney.

En 1876, voici les familles du 16 : celle de la veuve Lefèvre, Les Janin qui, comme leurs voisins, comptent également un armurier, Les Jurdey dont le mari est retraité de la Marine, enfin la veuve Kerinec. En tout, 19 personnes vivent dans l'ancien hôtel du duc de Lauzun. (ADF, 6M 148-150, 1876, P. 87)


 

1881, au 16 de la rue de l'Eglise, on compte les familles du second-maître Julien Poulmarch, Guillaume Cousseau, ouvrier, Jules Le Moign, marin, Marie Guerranie, une isolée, enfin les Lefèvre, dont l'armurier, sont toujours là. Soit 15 locataires (P. 143)

A côté, rue de la Pointe, les Leguen occupent toujours une place majeure dans l'ancienne maison de Justice. Le recensement du N° 1 totalise 14 ménages, soit 60 personnes ! On a du forgeron, du marin, du distributeur, de l'ouvrier, du retraité. On imagine les revenus de la famille Le Guen. Mais elle a encore de l'appétit...

Le 5 novembre 1882, le décès de M. de Forsanz ouvre à Le Guen les portes du Sénat. Elu avec 197 voix sur 385 votants, il siège à droite, et votera constamment avec la minorité monarchiste : contre le rétablissement du divorce ! contre les crédits de l'expédition du Tonkin !

Il obtint le renouvellement de son mandat, le 25 janvier 1885. Mais son élection est invalidée le 26 juin suivant comme celle de ses collègues du Finistère. Il est définitivement réélu, le 26 juillet et reprend sa place à droite avec ses votes contre. Contre l'expulsion des princes. Contre la nouvelle loi militaire. Enfin contre le rétablissement du scrutin d'arrondissement, contre le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse, contre la procédure de la Haute-cour contre le général Boulanger....

Avec ses revenus, le Guen dispose d'un pied-à-terre parisien au 83, rue d'Assas et c'est lui qui, aurait ajouté entre 1886 et 1891 un troisième étage à la maison sise rue de l'Eglise à Recouvrance. Le fronton de l'immeuble fut donc démoli et l'appât du gain semble motiver cette bévue architecturale. C'est dans cet ajout, à l'arrière que j'ai vécu.


L'alliance avec les Carof


Avant travaux, en 1886, le 16 compte deux ménages : ceux d'un employé du service administratif, Eugène Le Goascoz, du charpentier Armand Mingand auxquels il faut rajouter une isolée, Eugénie Lefèvre, 24 ans. Neuf locataires recensés (P. 208). Ce chiffre va tripler. 


 L'élégant fronton de l'hôtel Lauzun va laisser la place à un nouvel étage. Le Sénateur y fait incruster dans une niche une vierge à l'enfant...

Le 9 janvier 1889, Adeline Le Guen, fille de notre avocat, épouse Auguste Carof, négociant à Ploudalmezeau, dans l'église Saint-Sauveur de Brest. L'abbé Fonssagrives, directeur du cercle catholique du Luxembourg et oncle à la mode de Bretagne de la mariée, bénit les époux et prononce une touchante allocution (Voy. l'Océan, de Brest, et le Petit Breton du 12 janvier). Fabricant d'iode, Carof est historien à ses heures. Il laissera un ouvrage sur le passé de Ploudalmézeau. Il suscitera aussi la réouverture de la station de Portsall des Hospitaliers sauveteurs bretons.

Dès 1891, sept ménages sont recensés. Les chefs de famille sont Marie Le Gall, veuve et son fils ajusteur, Charles Costroy, le carrossier Charles Cran, Joseph Bernard, un marin, Jean Pichon, un marin, Francine Bourguignon, une tailleuse veuve entourée de ses cinq enfants, le retraité Eugène Hemont enfin Hippolyte Lestang, magasinier. Soit 30 personnes (P. 76)

En 1896, six ménages peuplent la maison : ceux du journalier Jacques Kéméneur, de Marie Le Saout et sa fille, sans état, du journalier Jean-Marie Jaffrée, Marie Furet, veuve et seule, Gustave Gougette, maître charpentier et Yves Helary, quartier-maître de mousqueterie. Soit 22 locataires. (P. 78)

En 1900, l'ancienne batterie Filley, située rue de la Pointe, fut affectée à la Marine.

1901 : la famille Jaffrée est toujours là mais l'épouse, Louise Kerdoncuff, n'a plus son mari à ses côtés. Un des ses fils est second-maître timonier. Nous avons un dessinateur de l'Etat, Alexandre Bescond et son épouse. La famille de Jacques Le Géval, ouvrier du port, comme Auguste Coat, veuf avec deux enfants et Alain Simon, Enfin la veuve Lemasson, née Furet vit avec son fils Auguste, mécanicien général de l'Etat. (P. 330).

1906 : on recense les ménages de Marie Quéma, veuve avec deux enfants, Sylvestre Cresméas, un retraité, Alexandre Bescond, un surveillant technique, Alain Simon, ouvrier au port, Jacques Le Geval, devenu lui aussi surveillant technique, Marie Furet, veuve vivant seule, Maire Cloarec, veuve aussi avec un enfant tout comme Jeanne Alix. (P.72)


Jusqu'à la Grande guerre


En 1908. l'épouse de Maître Le Guen est vice-présidente de la Croix Rouge. Le couple Le Guen-Kerarmel eut onze enfants. Plusieurs sont morts en bas-âge. Un fils : Joseph Marie, qui sera engagé militaire et connu comme sous-lieutenant dans l'Infanterie en 1910. Il y eut aussi Adeline, mariée avec un industriel et négociant, Auguste-Marie Carof. conseiller d'arrondissement de Ploudalmézeau. A son tour, leur fils fut maire de cette commune. Il est décédé en 1983.

Clin d'œil de l'histoire, en 1911, le recensement fait apparaître un Lunven dans l'ancien hôtel du duc de Lauzun. Mais celui là n'est pas de Coatiogan. Pas plus que sénéchal. Il est manœuvre et se prénomme Yves. On a aussi Joseph Hamon, dessinateur, la veuve Marie Guennou, de Plougastel, dont deux enfants sont armuriers, François Soubigou, de Plougastel aussi, quartier-maître torpilleur, la veuve Lemasson, la famille de Jacques Le Géval, passé contremaître, celle de Pierre Rannou, d'Elliant, agent de police, enfin celle de Gabriel Nicolas (P. 61).

En 1911, le cercle s'est restreint autour de Le Guen. Son épouse, sa fille Marie et une domestique, Marie Salou, de Landunvez. (P 165). En 1912, la grande chancellerie est sans nouvelle de Maître Le Guen depuis 25 ans. 

Puis ce fut la Grande guerre. Il n'y aura pas de recensement pendant dix ans,  Au 16, on sait qu'en 1916 habitait la famile Branverger.  Et bientôt vont disparaître les propriétaires...

► LA SUITE 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire