lundi 9 octobre 2023

MA VIE DE CHATEAU A BREST (4)

 Par Laurent Quevilly

Chose promise... En 1811, les rues aux noms révolutionnaires retrouvent leur appellation d'origine. Ce qui semble s'accompagner d'un changement de numérotation. En effet, au recensement de 1812, la maison du Dr Maugé, dans l'ancien tribunal, retrouve son N° 1, rue de la Pointe. Du coup, les adresses des maisons voisines sont également décalées. (1F55/154). Quant au Dr Rochemont, il semble relogé sous le toit de son confrère, également au N°1. Mais la cohabitation prendra bientôt fin entre les deux chirurgiens. Le Dr Rochemont ira s'établir un peu plus loin, 21, rue de la Fontaine. Il sera l'un des fondateurs de la Caisse d'Epargne de Brest en compagnie de Maugé.

 

Le capitaine Vimeur 


Bonne nouvelle. Au recensement de 1813 (1F157/131), notre N° 16 de la rue de l'Eglise apparaît enfin là où on le connaît aujourd'hui. Hélas, le nom de son propriétaire n'est pas noté et il est indiqué comme « fermé ». Voilà qui expliquerait la migration de Rochemont d'une maison à l'autre. L'ancien hôtel Lauzun est donc momentanément inoccupé. Pour quelle raison, des travaux ?

Au recensement de 1814 (AMB 1F59/142), c'est bien M. ''Mogé'' le propriétaire du 16. La consistance de l'immeuble est ainsi résumée : "trois pièces". Elles sont occupées par Antoine Vimeur, capitaine d'artillerie de 64 ans qui dispose, au vu de l'impôt, de quatre portes et fenêtres. Il résidait auparavant rue la Pointe sous le nom de Vimeux. Car c'est un grand handicapé patronymique comme nous allons le voir.

Au recensement de 1815 (AMB 1F61/135), Antoine Vimeur est toujours là dans l'hôtel. Mais veuf. Il dispose de trois ''appartements'' et paye 100 F de loyer. Idem pour François-Auguste Barret, 40 ans, commis à la direction des vivres. Marie-Louise Le Bihan Descarières lui a donné trois enfants.

Le recensement de 1816 (AMB 1F66/113) voit la situation inchangée, si ce n'est que Vimeur, appelé cette fois Vimien, est flanqué de sa nièce, Marguerite Dubreuil.

En 1817 (AMB 1F67/246), on lui donne du Vimeuf et il est recensé seul dans l'immeuble en compagnie d'une fille de confiance. Mais où sont donc les Barret ?

Et l'agent recenseur, grand tortionnaire de patronymes, semble de plus en plus pressé car en 1818 personne n'est rencontré dans l'édifice (1F70/10) .

Une figure familière nous quitte le 9 mars 1818, c'est Catherine Bozec. Souvenez-vous : le sénéchal et son procureur avaient été les témoins de son mariage avec un maître d'équipage noyé dans un naufrage. On l'a vue ensuite à l'hôtel Lauzun. Veuve de longue date, pensionnée de l'Etat, elle meurt un peu plus loin, au 9 rue de la Pointe. 

 

Le colonel Gérodias


Changement de donne en 1819 (1F75/124). Les neuf pièces de l'hôtel Lauzun sont louées à Joseph Gérodias, sous-directeur d'artillerie de Marine. De Catherine Noel, il a un enfant en bas-âge qui fera lui aussi carrière dans l'armée ainsi que ses descendants. Marianne Bélec est la domestique. Gérodias est un pur produit de la Marine napoléonienne. Il a décroché la Légion d'Honneur en 1804 alors qu'il était enseigne de vaisseau au bataillon de matelots de la garde impériale. Deux ans plus, lieutenant de vaisseau, il est élevé au grade d'officier. Ses états de service sont impressionnants. Il a débuté sa carrière en 1791 à bord du Duguay-Trouin comme canonnier matelot de 3e classe. Sa conduite, notamment durant la bataille d'Ouessant, en 1794, lui valent le grade de sous-lieutenant d'artillerie. Et il est sur tous les fronts de la Révolution et de l'Empire, jusqu'en Russie.  La Première Restauration le voit discipliné. On en fait un chevalier de Saint-Louis en septembre 1814. Avant de nous revenir à Brest, Gérodias a été directeur de l'école d'artillerie de Marine de Toulon.


Le combat du 13 Prairial an II ( Philippe Jacques de Loutherbourg,1795).
 

Mais au fait, les Barret sont-ils vraiment partis du 16, rue de l'Eglise ? Si oui, temporairement. Car ils seront de nouveau recensés ici. En attendant, le lieutenant-colonel Gérodioas fera bientôt place à la famille Maugé. Il sera plus tard commandant militaire de la Martinique.


Maugé marie ses filles

 

Chirurgien major de marine en retraite, médecin de la ville de Brest, un temps conseiller municipal, Louis André Maugé, notre heureux propriétaire, est déjà veuf de Anne-Marie Fabry quand il marie ses deux filles.

Le 10 février 1819, Luc Delalun, officier de Marine demeurant à Recouvrance, épouse Caroline Maugé. Fils du capitaine du port de Granville où il est né, ce Normand est alors enseigne de vaisseau affecté à terre après avoir mené foule de campagnes. Il a débuté comme mousse puis aspirant. Avant de poser son sac à Brest et de s'y marier, il a alterné affectations à terre et embarquements. Le dernier en date était alors à bord de l'Hector, à Cayenne. Bientôt, le 11 juillet 1821, on lui décernera la Légion d'Honneur. Son couple va longtemps habiter ma future garçonnière. 

 

Drame chez les Rochemont


Alors que le Dr Rochemont est parti s'établir rue de la Fontaine, son fils adoptif, François Maximilien Monot ne se pourra plus évoquer ses jeunes années rue de l'Eglise, Embarqué sur le brick l'Euryale, il est admis à l'hôpital maritime de Port-Royal, en Martinique, le 19 avril 1821 où il est décédé le 21. A 31 ans, il laisse à Brest une veuve qui se remariera et aura deux enfants.

12 novembre 1821, second mariage chez les Maugé. Ce jour-là, le Dr Michel René Le Guen, natif de Ploudalmézeau, fils d'un capitaine de barque, épouse à son tour une fille de son confrère Maugé. Elle se prénomme Marie Gabrielle Charlotte Etiennette. Les Le Guen vont poser durablement le pied dans l'ancien siège de la seigneurie du Châtel.

Le 25 janvier 1822, Delalun reprend la mer. A bord de l'Hermione, cette fois. Cap sur les Antilles...

 

Un voisin nommé Collet


En 1825, l'hospice vend la maison de la Fontaine, voisine de l'hôtel Lauzun, au sculpteur de la Marine Yves Collet. Il vient tout juste de recevoir la Légion d'honneur. Avant cela, ce Brestois a suivi les traces de son père puis participé à la Révolution d'abord au sein de la Municipalité puis comme juge de Paix du Tribunal révolutionnaire. Veuf, Collet vit au 2e étage du 37 de la rue de l'Eglise, entouré de plusieurs locataires. Trois demoiselles et un domestique partagent ses appartements. Au rez-de-chaussée est le cordonnier Trichet. Collet n'habitera jamais dans la fameuse maison de la Fontaine contrairement à ce que l'on peut lire parfois.

Sculptures d'Yves Collet, Musée de la Marine, Brest, photo : Laurent Quevilly.

Le 8 mai 1929 mourrait dans cette même maison de la Fontaine Joseph Smith. Il avait 59 ans. Un neveu, Kersauzon de Pennendreff, juge au tribunal d'instance et un maître canonnier principal, Pierre Marie Le Gall, en firent la déclaration.

En 1831, Félix Barret, qui a grandi au 16, rue de l'Eglise, expose pour la première fois au Salon de Paris près avoir étudié aux Beaux-Arts de la capitale dans l'atelier de François Gérard. Il reviendra régulièrement au Salon jusqu'en 1848.

 

 La mort du Dr Maugé


Au recensement de 1833 (1F40/62), le nom du propriétaire du 16, rue de l'Eglise, Maugé, a été barré pour le remplacer par Delalun. Et nous allons vite comprendre pourquoi. L'immeuble comporte alors une petite boutique en rez-de-chaussée, celle du jeune cordonnier Prosper Salaün et de sa femme.

Au 1er étage, le nom de M. Maugé a encore été biffé pour celui du capitaine de corvette Delalun. Avec sa femme et une domestique, il occupe tout le niveau mais aussi une chambre au second.

Là vit encore François-Auguste Barret, administrateur de la Marine en retraite, son épouse, Marie-Louise Le Bihan Descarrières et trois enfants Félix, l'aîné, mène alors ailleurs sa carrière de peintre..

Hélas, le 8 octobre de la même année, Caroline Maugé rend l'âme au 16 de la rue de l'Eglise. Elle a 40 ans. Barret est témoin en compagnie d'un chef de bataillon à la retraite, chevalier de Saint-Louis et de la Légion d'Honneur, Pierre-François Duprez. (7E42/66) Les mêmes vont devoir se rendre de nouveau à la mairie le 21 octobre pour déclarer cette fois le décès du père de la défunte, Louis-André Maugé, survenu la veille au même 16, rue de l'Eglise. Voilà, le Dr Maugé qui avait acheté la maison de Justice et l'hôtel du duc de Lauzun n'est plus. Il avait 82 ans.

Cette même année 1833, en recensant les occupants de l'ancienne maison de Justice, 1, rue de la Pointe. (1F16/109), on a également barré le nom de Maugé pour le remplacer par ceux de Le Guen et Hardy. Beaucoup de monde habite là. 

Au rez-de-chaussée, on trouve un douanier du nom de Jean-Baptiste Maugé, 51 ans et son épouse. Erreur du scribe ? On ne connaissait que deux filles à notre chirurgien de Marine. Pas de fils douanier. Au même rez-de-chaussée, il y a aussi Jean-Pierre Mannesse, commis à l'octroi, son épouse et deux demoiselles. Louis Petitbon, autre douanier, sa femme une fille et un mineur.

Au 1er étage est le Dr Le Guen, sa femme et deux garçons en bas-âge.

Au 2e étage un charpentier du noms de Jacques-Marie Janin (?) a, avec son épouse, trois garçons et deux demoiselles. Ils ont pour voisins de pallier le lieutenant de vaisseau, Hardy. Il a de son épouse un garçon en bas-âge tandis qu'une chambre est réservée au douanier Cassagne.

Au troisième étage, on trouve un capitaine d'armes, M. Lefranc, marié, chargé de la veuve Coulon et d'un petit garçon. Dans une mansarde, une pauvre, sans état, la veuve Moudennec, partage son peu d'espace avec sa fille de 33 ans. Dans une autre mansarde se trouve Sébastien Mignard, un journalier, et sa femme. Une dernière mansarde renferme un maréchal des logis à la retraite, Novalzky, et sa femme. On le voit, l'ancien siège de la juridiction du Châtel abrite une population hétéroclite.

Près de là, depuis la mort de Joseph Smith, en 1829, la maison de la Fontaine, propriété d'Yves Collet, est occupée par la famille de M. Le Coat-Dubois, juge de Paix. 

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