Par Laurent Quevilly
Epouse du sénateur Le Guen, Adeline Philippe de Kerarmel est décédée chez sa fille aînée, à Ploudalmézeau le 27 juin 1915. Edouard Le Guen lui survivra trois ans. Il s'éteint le 6 février 1918 à Recouvrance dans sa 92e année, bâtonnier de ses pairs. Le Dr Caradec en brosse le panégyrique :
"Le doyen des avocats de France, le grand honnête homme de Brest, estimé, respecté, aimé de tous les partis, est mort hier à midi.
Il y a quelques jours, je le saluais respectueusement, allant à pas menus de sa familiale maison de Recouvrance à son modeste cabinet de la rue de Siam.
Lui qui avait plaidé les plus brillantes causes avec l'éloquence, le charme littéraire qui sont restés comme des modèles dans le barreau, il ne prêtait plus son concours et son talent qu'aux pauvres gens relevant de l'assistance judiciaire. Chez lui, le cœur dépassait l'intelligence. C'était lui qui animait, qui vivifiait la belle ordonnance de ses discours
Il fallait le voir à la barre." Il apparaît rajeuni « , disait en 1913 l'un de mes confrères de la Bretagne mondaine, une ardeur juvénile le pénètre, et c'est un charme de l'entendre. Quelle pureté de langage, quel style heureux, quelles phrases éloquentes et solides ! A la plus petite affaire, il apporte les soins les plus minutieux; dans une cause insignifiante en apparence, il trouve des arguments qu'on ne soupçonnait point... Quand on l'a une seule fois, entendu, même dans l'une de ces menues affaires journalières dans lesquelles il sut mettre tant de talent, on comprend qu'il ait pu assumer le redoutable honneur de plaider contre les plus grandes célébrités du barreau et mesurer son éloquence à celle de Jules Favre.
C'était son cœur aussi qui inspirait toute sa vie de charité, qui ne lui permettait que d'accepter les causes justes... C'était lui qui lui commandait ce magnifique désintéressement qui l'a laissé dans une situation modeste toute son existence.
Dans sa vie privée comme dans sa vie publique, il était le plus charmant, le plus courtois des hommes, sachant écouter son interlocuteur et tenant son rang avec modestie... Il n'y a qu'un point sur lequel il ne barguignait pas, c'était sur l'indépendance de sa corporation... Il aimait d'un tel amour sa profession, qu'il s'était constitué le vigilant .gardien du barreau.
Au Sénat, où il siégea longtemps, il eut à prendre la parole à plusieurs reprises, et ce l'ut toujours avec un haut sentiment de dignité et une scrupuleuse conscience.
Ce vieil honnête homme, aux traits si fins et si loyaux, s'en va chargé d'années rejoindre ceux qu'il a aimés. Quand, dans la. tragédie à laquelle nous sommes tous mêlés, il perdit le plus cher et le meilleur des fils, dans sa belle résignation de chrétien, il leva les yeux au ciel et dit simplement : « Dieu me l'avait donné. Dieu me l'a repris. Fiat voluntas sua. »
Sa devise était : Magna quies in magna spe. Ce grand repos dans la grande espérance, il l'a mérité par sa vie de labeur opiniâtre, si riche en bienfaits. Du séjour réservé aux élus, son âme sortira bientôt pour contempler celle victoire du Droit sur la Force que, comme tous les bons Français, il attendait avec une impatience frémissante."
L'union mutualiste du Finistère publia également un long communiqué à la mémoire de son président d'honneur.
La levée du corps eut lieu le 8, à 10h, rue de la Pointe. Les cordons du poêle étaient tenus par MM. Gauducheau, président du tribunal civil; Guimard, procureur de la République; de Riverieulx, avocat, et Le Calloch, avoué, lieutenant attaché à la commission de contrôle télégraphique. La cérémonie religieuse a été célébrée, à l'église paroissiale de Saint-Sauveur. Mgr Duparc, évéque de Quimper et de Léon, a prononcé en chaire l'oraison funèbre de Me Le Guen et a ensuite donné l'absoute. Dans le cortège : foule de personnalités, des enfants des écoles chrétiennes. L'inhumation a été faite au cimetière de Recouvrance. Selon la volonté du défunt, aucun discours n'a été prononcé.
Dès juillet 1918, les 1 et 3 rue de la Pointe ainsi que le 16, rue de l'Eglise, étaient mis en vente ensemble ou séparément comme maisons de rapport. Bertheau de Chazal, notaire rue Jean-Macé était chargé de la transaction. Ces propriétés restèrent en vente plusieurs mois....
L'entre-deux guerres
Le 29 avril 1919, 40 tonnes de produits alimentaires en provenance du Batavia furent mises en vente au profit de la Croix Rouge, 1, rue de la Pointe.
Au 16, en 1921, on compte les familles d'Auguste Jézéquel, Jean-Guillaume Raoul, marin de direction originaire de Crozon, Adolphe Creff, mécanicien à la chambre de Commerce et dont un fils est marin d'Etat, Joseph Kervella, ouvrier du port, celle de Jacques Le Géval, maintenant retraité, est toujours à poste, Marie-Jeanne Rannou est recensée sans son policier de mari et a un fils boulanger, un autre apprenti cuisinier chez Perrot, enfin Joseph Louis Hamon est marin de direction. (P. 54)
Dans l'ancienne maison de Justice, la famille Le Guen n'apparaît plus au recensement de 1921. (P. 144) Et pour cause.
En août 1919, les héritières Le Guen vendirent à la ville de Brest un jardin fruitier et d'agrément clos de murs avec maisonnette et serre sis rue de la Pointe. Il s'agit de l'épouse Carof, la veuve Le Franc, demeurant 1 rue du Château, Marie-Anne-Michelle Le Guen, leur sœur, toujours domiciliée 1, rue de la Pointe. Enfin Pauline, épouse d'un médecin homonyme à Vannes.
1926 : on trouve 16, rue de l'Eglise, les familles de Yves Le Roy, forgeron à l'arsenal, Joseph Louis Hamon, Adolphe Creff, désormais à la retraite, le veuve Le Roux et ses enfants, les Géval, les ménages d'Yves Le Berre, dont un fils est quartier-maître, de Jean-Guillaume Raoul, réformé, de Jean Bléas, un veuf. (P. 52)
1931 : Familles de Henry Le Corre, de Landudec, réformé, Joseph Hamon, retraité, Eugène Sinou, ouvrier à l'arsenal, les Géval, Yves Le Berre, retraité, Annette Raoul, Jean Le Stum, marin, d'Argol. (P. 52)
1936 : familles de Marie Hamon, Henri Le Corre, Eugène Sinou, Yves Le Berre, les Géval, Jean Le Stum, Annette Nicolas et sa fille. (P. 460).
Dans l'ancienne maison de Justice, on note la présence d'une cartomancienne qui nourrit la chronique faits-divers. Voici peu, un dame de nom de Bonnaventure vivait aussi dans l'immeuble.
Après les bombardements
L'ancien hôtel et son tribunal sont des miraculés. Alors que Brest fut détruite à 80%, ces maisons font partie des rares édifices encore debout après les bombardements avec le château, la tour Tanguy ou encore l'église Saint-Sauveur.
1946. Familles de Marthe Le Corre couturière, Auguste Le Goie, lithographe, Yves Le Berre, retraité, Viana Santos, conducteur portugais, avec deux Géval, Eugène Sinou... (1F91/688)
En 1954, le 16 abritait cinq logements. Il y avait là les familles de Lucien Le Gal, chef d'équipe à l'arsenal, André Le Berre, métreur, Ilidio Dos Santos-Viana, mécano portugais, Eugène Sinou, mécanicien, Annette Raoul-Nicolas, la doyenne, sans profession. (1F95/97)
Epilogue
En 1992, la fontaine fut remise en eau par des ateliers d''insertion. La maison qui lui sert de support est un lieu d'expostion. La "mienne" accueille les touristes en location. Cette maison, la première où j'ai pu me dire chez moi, a beaucoup compté dans ma vie, même si mon séjour y fut bref.
Vu de la maison de la Fontaine, le pignon intérieur de l'ancien hôtel du duc de Lauzun. Ma chambre se situait en haut à droite...
J'ai découvert depuis que bien avant moi, un cousin, natif de Jumièges, avait vécu à Recouvrance au XIXe siècle. Il s'appelait Camille Mainberte, tour à tour musicien de la flotte des équipages, gardien du port de Brest, boulanger et enfin ouvrier tonnelier. Il eut plusieurs enfants dans le quartier dont ira mourir au Front, l'autre titulaire de la Légion d'Honneur et dirigeant national des débitants de tabac. Mais c'est surtout un troisième garçon, Charles Joseph, qui fit parler de lui en 1890. Quartier-maître à bord du Borda, il déroba une collecte en faveur des incendiés de Fort-de-France. Sa mère remboursa discrètement la somme mais il ne le savait pas. Il se donna la mort dans une maison-close de la rue des Sept-Saints. Un siècle après ces cousins, je suis venu sans le savoir sur leurs pas. Et toujours sans le savoir, c'est chez l'amant de Marie Antoinette que j'ai vu s'envoler ma vertu. Avouez que l'endroit s'y prêtait...
Laurent QUEVILLY.
Sources
Etat civil et recensements, archives de la Ville de Brest, archives départementales.
Brest a aussi son hôtel de Lauzun, André Kerdoncuff, Les Cahiers de l'Iroise, N° 184, Oct. 1999.
Elites, pouvoirs et vie municipale à Brest, 1750-1820, Bruno Baron 2012.
Dictionnaire des parlementaires français, Adolphe Robert, 1891.
Généalogies de Arnaud Wassmer, journaliste, descendant direct des Maugé, Arnaud Jaffrézic.
Enquête sur Saint-Sauveur, archives diocésaines.
Le vieux Brest, Louis Delourmel, édition de Bretagne.
Bibliothèque Université Paris Cité
Le Finistère monumental, Louis Le Guennec,
La municipalité de Brest, 1750-1790, Maurice Bernard.
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